Les informations dont nous disposons au sujet de la reine berbère al-Kahina sont à la fois limitées et contradictoires. D’abord, son vrai nom n’a pas été retenu par l’histoire. Selon les sources, al-Kahina s’appellerait Dahiya, Damiya ou Daya. Cependant, cette reine est principalement connue sous le nom de « al-Kahina », surnom qui signifie voyante, sorcière et prophète. Elle aurait pratiqué la divination lors des prises de décisions politiques et militaires – ce qui est crédible, car dans la société berbère archaïque, la personne dirigeante est reconnue pour ses capacités à prédire l’avenir.
L’histoire n’a pas retenu non plus l’origine d’al-Kahina. Certains disent qu’elle descend d’une longue lignée royale des Aurès, région située à l’est de l’Algérie actuelle, pendant que d’autres avancent qu’elle est la fille d’un certain Matiya, Matthias ou Matthew. Cette dernière hypothèse suppose qu’al-Kahina est issue d’un mariage mixte, à savoir berbère et byzantin. Quoi qu’il en soit, celle-ci se marie avec un Grec avec qui elle aura deux ou trois fils.
De même, les historiens ne s’entendent pas non plus sur la religion d’al-Kahina. Certains spéculent qu’étant donné son affiliation à la tribu Jerawa, la reine des Aurès est juive, et d’autres avancent qu’elle est chrétienne, puisque cette tribu se serait convertie au christianisme.
Malgré ces incertitudes, certaines informations véhiculées au sujet d’al-Kahina concordent. En effet, cette dernière apparaît dans l’histoire lors des premières invasions arabes en Afrique du Nord. Plus précisément, quand Moawiya, chef de la dynastie omeyyade, entreprend la conquête de ce territoire à la fin du VIIe siècle et confie le commandement d’une armée à Oqba ben Nafi al-Fihri. Certes, ce dernier parvient à fonder al-Kairouan, première ville musulmane au Maghreb, dans l’actuelle Tunisie, et à étendre ses raids jusqu’à Tanger et Souss, dans le Maroc d’aujourd’hui. Néanmoins, il mobilise à son insu la résistance berbère. En fait, à l’aube de l’arrivée des Omeyyades en Afrique du Nord, un premier royaume berbère indépendant est déjà établi, et son unité politique et administrative est assurée par Kusayla. Oqba ben Nafi al-Fihri se heurte d’abord à ce chef berbère. Puis, quand il décède autour de 686, Oqba ben Nafi al-Fihri se heurte à al-Kahina, qui a été désignée par le conseil d’une confédération de plusieurs tribus comme reine des Aurès. Désormais, celle-ci commandera la tribu des Jerawa pendant soixante-cinq ans, ou trente-cinq ans selon d’autres sources. En dirigeant la résistance berbère contre les envahisseurs arabes, al-Kahina devient la seule femme de l’histoire à avoir combattu l’empire omeyyade.
Dans un premier temps, la reine des Aurès ordonne la mort d’Oqba ben Nafi al-Fihri. Grisé par ses premières victoires dans les territoires berbères, celui-ci a fait l’erreur d’envoyer ses troupes vers l’est. Cette exécution met un frein à l’invasion omeyyade pendant cinq ans. Durant cette trêve, al-Kahina procède à la réunification de nombreuses tribus, étendant de la sorte son pouvoir dans la quasi-totalité de l’Afrique du Nord. Mais la trêve ne dure pas. Derechef, le gouvernement omeyyade envoie une armée au Maghreb, cette fois-ci sous le commandement de Hassan ibn Numan, qui fait l’erreur de sous-estimer l’ingéniosité guerrière de la reine. Celle-ci lui inflige deux défaites cuisantes qui l’obligent à se retirer jusqu’à l’est de Tripoli.
Ainsi, lors de la première bataille, al-Kahina prend en embuscade les troupes omeyyades, après avoir dissimulé son armée pendant la nuit, en partie dans la montagne et en partie derrière ses chameaux, dans la vallée déserte de Miskyana (Constantine actuelle). Plus tard, en 695, lors d’une deuxième bataille, al-Kahina écrase les troupes omeyyades malgré leur supériorité numérique.
Si ibn Numan se retire à l’est de Tripoli, al-Kahina sait pertinemment que cette retraite est temporaire. Croyant que les envahisseurs convoitent les richesses du Maghreb, quand en fait ces derniers cherchent à l’islamiser, la reine des Aurès décide de pratiquer la politique de la terre brûlée pour les dissuader. Aussi, elle convoque les chefs des tribus à un conseil de guerre, et leur recommande de saccager les villes, de ravager les champs et d’étendre une frontière de désolation entre les Berbères et leurs ennemis. Aussitôt dit, aussitôt fait. De Tanger à Tripoli, les villes sont mises à terre, avec comme conséquence immédiate l’aliénation d’al-Kahina au sein de son propre peuple : révoltées, certaines tribus berbères se seraient ralliées à Hassan ibn Numan. Précisons toutefois que de nombreuses sources contestent cette information. Les historiens omeyyades auraient exagéré la situation pour discréditer une reine hostile à leur expansion. Certes, des villes ont bel et bien été détruites, mais al-Kahina n’y serait pour rien, puisque suite à la chute de l’empire romain, l’Afrique du Nord a été la scène d’affrontements répétitifs entre Berbères et Byzantins, mais aussi entre tribus berbères. En tout cas, les Berbères ne forment plus un front commun contre les Omeyyades.
Par conséquent, lorsque Hassan ibn Numan envahit les Aurès vers 702, les premiers affrontements sont largement défavorables à la reine berbère. Sachant sa défaite éminente, al-Kahina conseille à ses fils de se rallier à ibn Numan avant que ce ne soit trop tard. Une fois rassurée quant à leur sécurité, la guerrière des Aurès reprend le combat. Vaincue, celle-ci est décapitée et sa tête est envoyée en trophée au calife omeyyade. Al-Kahina serait décédée vers l’âge de 127 ans – les historiens sont unanimes à ce sujet ! Son décès marque la fin de la résistance berbère contre les Omeyyades.»
Extrait de mon livre Femmes politiques au Maroc d’hier à aujourd’hui: La résistance et le pouvoir au féminin (Casablanca : Tarik Éditions, 2013)