Ce que nous savons sur Fatima ou Aïcha al-Hurra, la mère du sultan Muhammed XI Abu Abdallah, connue par «la sultana madré de Boabdil» semble être une combinaison de légendes et de faits historiques.
Fatima a été l’épouse d’Abu Hassan, sultan nasride à Grenade, dans la deuxième moitié du 15ème siècle. Ce dernier s’est épris d’une esclave chrétienne, Isabel de Solis, prénomnée Turraya (Zoraya dans les sources espagnoles) à un tel point qu’il a délaissé son épouse légitime et ses deux fils, Youssef et Muhammad Abu Abdallah, connu par Boabdil dans les sources espagnoles. Devant cet état de fait, Aïcha al-Hurra encourage son fils Boabdil à se rebeller contre son père. Certains chroniqueurs soutiennent que la mère a été «le génie diabolique» de son fils.
Quoi qu’il en soit, aussi bien les sources arabes que les sources espagnoles s’accordent pour dire que Fatima ou Aïcha al-Hurra a joué un rôle déterminant dans l’histoire politique médiévale musulmane. Celle-ci a été une leader qui a accompli des actions héroïques durant une période politique tragique pour les dirigeants musulmans en Espagne. Entre autres, elle a réussi à transférer le pouvoir de son conjoint, Ali Abu Hassan, à son fils Abdallah. En effet, en suivant les instructions de sa mère, celui-ci a pris le pouvoir en 1482 (887 miladi) et l’a conservé jusqu’à la date fatidique de 1492 (896 miladi), soit un an après la crise de Grenade. Toujours, suivant les conseils de sa mère, il saisit al-Hambra en 1482, et devient le maître de Grenade. Il pousse l’audace jusqu’à attaquer Lucena, ville de Castille. Vaincu, il devient le captif d’Isabel et Ferdinand. Fatima ou Aïcha al-Hurra a joué alors un rôle déterminant dans la libération de son fils. Libéré, celui-ci devient le dernier roi de la dynastie Banu Nasr, laquelle dynastie a gouverné Grenade à partir de 1232.
La fuite du sultan Muhammed XI Abu Abdallah devant les armées d’Isabel et de Ferdinand annonce la fin des huit siècles de l’empire musulman en Espagne. Lors de cette capitulation, le sultan et sa mère ont porté leurs plus beaux vêtements et se sont entourés de faste, puis la tête haute, ils ont cheminé loin de Grenade. Des hauteurs d’une colline, Boabdil s’arrête, regarde en arrière, soupire et éclate en sanglots. Fatima ou Aïcha al-Hurra lui dit alors sa célèbre phrase : «Ne pleure pas comme une femme pour ce que tu n’as pas su défendre comme un homme». Désormais, les hauteurs de cette colline sont connues de nos jours par les Espagnols comme «El-ultimo suspiro del Moro» (le dernier soupir du Maure).
Muhammed XI Abu Abdallah et Fatima ou Aïcha al-Hurra se sont retirés à Fès, et sont décédés au Maroc.
Pour une étude plus détaillée du sujet, consulter mon livre Femmes politiques au Maroc (Casablanca : Tarik Éditions, nov. 2013).
Sources consultées :
Philip K. Hitti, History of the Arabs (London: MacMillan, 1970), 548-556. La version arabe de ce document a été publié avec le titre de Tarikh al-Arab (Beiruth : Dar al-Kachf, 1961), vol. 2, 653-660).
Rachel Arié, L’Espagne musulmane au temps des Nasrides (1232-1492) (Paris : Éditions de Boccard, 1973), 148-161 & 368.
Nada Mourtada-Sabah, «‘I am by God, Fit for High Positions’: On the Political Role of Women in al-Andalus», British Journal of Middle Eastern Studies (November, 2003) : 198-199).
Luis Seco de Lucena, «La Sultana Madre de Boabdil» al-Andalus 12:2 (1947) : 359-390. Voilà le texte en format pdf : MadreBoabdil