Les dernières critiques adressées à l’historiographie classique soutiennent entre autres que l’histoire est élitiste, dans la mesure où elle s’intéresse principalement aux hommes d’État, à la vie des cours princières et aux combats militaires, si bien que cette histoire est une liste de dates, de batailles et de noms de leaders masculins. Or, d’autres sphères des sociétés humaines méritent tout autant d’être l’objet de l’histoire. Depuis, de plus en plus d’historien-nes s’intéressent à ce qu’on appelle «les gens ordinaires». Aussi, cet article s’inscrit dans le cadre de ces récits historiques nouveaux.
Ana de Melo est une marocaine originaire de Doukala. Elle a probablement immigré du Maroc au Portugal en quête d’une vie meilleure autour de 1535 (miladi). Ici, rappelons qu’au 16ème siècle, non seulement le Maroc a perdu le territoire de l’Andalousie, mais aussi certains de ses ports ont été occupés par le Portugal. Cette situation a engendré de nombreuses guerres, avec la dégradation de la vie économique qui lui est concomitante. Cherchant une vie meilleure, de nombreux marocain-es se sont exilé-es, notamment après la grande famine de 1520. Certain-es ont été emprisonné-es et vendu-es comme esclaves, tandis que d’autres se sont converti-es au christianisme pour s’intégrer dans la société d’accueil. Ana de Melo fait partie de ce dernier groupe. Ainsi, elle a vécu au Portugal pendant vingt deux ans. Cependant, comme en témoignent les rapports des procès intentés aux résident-es marocain-es au Portugal entre autres dans la ville d’Évora lors de la période de l’inquisition, malgré son âge avancé, Ana de Melo a été accusée d’apostasie, soit d’avoir renoncé au christianisme en pratiquant les rites de l’islam, sa religion d’origine.
En effet, selon ces documents historiques, le procès d’ Ana de Melo a débuté le 22 mai, 1559, et s’est achevé le 24 avril, 1560, année durant laquelle cette dernière a défendu inébranlablement sa cause. Ainsi par exemple, elle a refusé de donner à la cour son vrai nom. Conséquemment, elle a été acquittée moyennant le paiement de 292 rials. Dans le contexte répressif de l’époque, ce verdict clément témoigne à la fois du courage et de l’éloquence d’Ana de Melo.
Sources consultées :
Fatima Sadiqi, Amira Nowaira, Azza el-Kholy & Moha Ennaji eds., Women Writing Africa, the Northern Region (New York: The Feminist Press, 2009), 97-98.
Abd al-Hadi Tazi, al-Mar’ah fi tarikh al-gharb al-islami (Casablanca : Fennec, 1993), 186.
Les archives de ce procès se trouvent au Portugal : «The Inquisicao de Evora Mco. 74. No. 686», in Arquivo Nacional da Torre do Tombo, Lisbon. Par ailleurs, l’historien Ahmed Bouchareb a étudié de très près ce procès.