Rhizlaine Chraibi, Un amour fractal (Casablanca : Juste pour lire, 2012)

un amour fractalVoici un roman qui pose quelques questions terriblement actuelles, des questions qu’on peut résumer par une interrogation : où en est la femme dans ce monde arabe où occidentalisation et retour à la tradition semblent se livrer une guerre de tranchées ? Une guerre dont il va de soi que c’est encore la femme qui en est la victime, chaque jour…

Le sujet n’est pas simple à traiter de façon académique, scientifique : c’est pourquoi ce genre de roman est si important. En retraçant un parcours particulier, celui d’une femme en proie à ses dilemmes, ses difficultés et son aspiration à vivre, il nous donne un aperçu riche et contrasté du problème. Et il nous permet d’en élargir l’objet : au fond, il s’agit de la question essentielle de l’individu dans nos sociétés. C’est peut-être la clé de la modernité – ou de la régression…

Un amour fractal se divise en une succession de tableaux qui nous enserrent petit à petit dans l’étau de la vie d’un couple. On entrevoit sa part d’ombre, son improbabilité, ce qui cloche… Mais est-ce bien d’un couple dont il s’agit ? N’est-on pas plutôt en présence d’un attelage hétéroclite, mal assorti, si on y regarde de près ? On pressent vite que tout cela finira mal. La violence (psychologique) va crescendo. La narratrice s’affirme en s’opposant aux attentes de la société qui font du mariage le socle fondamental. Il y faut un certain courage. Elle n’en manque pas.

Mourir ou partir ? La narratrice devra faire un choix. Il s’agit de se réapproprier  son identité, de mettre fin à son exil personnel. Combien sont-elles qui n’ont pu faire ce choix et se sont résignées à vivre en marge d’elles-mêmes ? Tant sont durs les sacrifices nécessaires, tant est contraignant l’environnement social… Ghizlaine Chraibi esquisse ici une solution possible, dans cet univers surréaliste qu’elle a délibérément créé, avec ses personnages volontairement « floutés », caricaturés, que sont Momo Le Bo et Ito. L’humour est vraiment la politesse du désespoir.

Avec ses quatre parties qui constituent autant de repères pour l’intrigue, Un amour fractal interroge tour à tour les tensions de la modernité : individu/ couple, femme/homme, pays d’origine/ exil… Et il y a aussi la question linguistique (cruciale, bien sûr), le rapport à la mère, l’étude d’un cas de perversité narcissique… Ghizlaine Chraibi réussit à faire tenir tout cela dans les limites de sa narration, parfaitement maîtrisée. Bref, voici un roman passionnant qui se double d’un document d’une grande valeur. À lire de très près ! (D’après la préface de Fouad Laroui)

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