Khadija Ryadi, lauréate du Prix des Nations pour la cause des droits humains

Khadija-RyadiKhadija Ryadi (1960 – ) est l’une des récipiendaires du prestigieux Prix des Nations Unies pour la cause des droits de l’homme pour 2013. Ryadi est sans conteste l’un des plus importants acteurs de la scène politique marocaine actuelle. Celle-ci a présidé l’Association marocaine des droits humains (AMDH), de mai 2007à mai 2013.  Pourtant, quand elle a accédé à ce poste de responsabilité, elle était largement méconnue des médias.  Il faut dire que Ryadi est une militante autant chevronnée que discrète.

Rappelons donc le cheminement militant de Khadija Ryadi. Notre militante est née en 1960, dans la région de Taroudant ; quoique la famille de celle-ci a aussitôt migré à Rabat. Ryadi reconnaît qu’elle doit beaucoup à son père.  D’un côté, celui-ci a été un militant modèle : il a été un combattant lors des luttes anticoloniales, un syndicaliste quand il a travaillé en France et victime de torture et de détention politique sous le régime répressif de Hassan II.  De l’autre, il a tout fait pour que ses filles accèdent à l’éducation. Ryadi apprécie d’autant plus ce père progressiste qu’elle voit quotidiennement la réalité discriminatoire que vivent les filles de son entourage.  Une fois les études primaires achevées, celles-ci sont retirées de l’école, pour être préparées au mariage.  Ce faisant, elles apprennent la couture, la broderie et autres tâches considérées comme féminines. Désormais, dès l’enfance, elle est consciente de l’existence d’une grande injustice sociale qui se doit d’être redressée.  À l’âge mûr, elle reviendra à ce dossier.

Entre-temps, Khadija Ryadi avance à la fois dans ses études et dans son militantisme. Après un baccalauréat au Lycée Omar al-Khayyam, elle intègre l’Institut national de statistique et d’économie appliquée, où elle devient une membre active de l’Union nationale des étudiants marocains (UNEM).  D’ailleurs, c’est à l’UNEM que Ryadi reçoit sa formation militante.  Durant ses années d’activisme estudiantin, celle-ci apprend entre autres les idées progressistes, les sacrifices que la défense d’une cause exige, le travail collectif, l’organisation d’événements contestataires et la formulation de requêtes constructives. Bientôt, elle devient présidente de la corporation des étudiants, et en tant que telle, un mentor et un exemple de militantisme pour les jeunes étudiants.

Quand Khadija Ryadi rejoint le monde du travail en tant qu’ingénieure en informatique au ministère des Finances en 1984, elle adhère à l’AMDH, espace de ralliement des progressistes de la scène politique marocaine.  Toutefois, au-delà d’une décennie, ses activités au sein de l’association se sont limitées à cette adhésion.  D’un côté, les réunions de l’AMDH ont été interdites et ses dirigeants emprisonnés ; et de l’autre, Ryadi a d’autres priorités militantes. Dans le cadre de la Commission des femmes, au sein du syndicat l’Union marocaine du travail (l’UMT), celle-ci renoue avec les préoccupations de son enfance : elle travaille avec les ouvrières de l’industrie du textile, femmes assujetties à une exploitation économique sauvage et à des conditions familiales qui relèvent tout autant de l’exploitation. C’est là que Ryadi découvre le vrai militantisme féminin, soit celui qui lutte à la fois pour l’amélioration des conditions du travail, la criminalisation de la violence à l’égard des femmes autant dans la sphère privée que publique, les réformes du code du travail et du code de la famille et l’augmentation de la représentation des femmes au sein des instances décisionnelles.

Parallèlement, comme Khadija Ryadi note qu’il n’y a pas de syndicat au sein du ministère des Finances, elle décide d’en créer un. De prime abord, elle est seule à œuvrer pour concrétiser ce projet.  Mais très vite, d’autres collègues l’assistent, si bien que cette petite équipe parvient à fonder le syndicat en question en 1995.  À cette occasion,  Ryadi brise des tabous : elle devient la première femme à présider un syndicat national au Maroc, dans un contexte social qui fait du syndicalisme une affaire d’hommes.  Ce n’est que lorsque l’activité syndicale de la nouvelle formation a pris son élan en 1998, que Ryadi décide d’assumer des responsabilités au sein de l’AMDH. Elle devient alors secrétaire adjointe en 1998, secrétaire générale en 2001, assesseure chargée de la commission centrale de la femme en 2004 et présidente de l’AMDH en 2007.

Toutefois, son accession à ce poste de responsabilité ne s’est pas faite sans résistance.  En fait, cette dernière a fait l’objet d’une campagne de dénigrement sur la scène politique, y compris au sein de l’association où certains membres doutent qu’une femme soit capable de diriger une organisation du calibre de l’AMDH.

Pour cerner la nature de cette résistance, présentons l’identité politique de l’AMDH. Depuis que le Maroc a accédé à l’indépendance en 1956, le jeu politique se caractérise par une lutte acharnée pour le pouvoir entre les élites dirigeantes traditionnelles qui monopolisent les institutions de l’État, connues par le makhzen, et les forces vives du pays qui aspirent à instaurer un État de droit, avec les institutions démocratiques qui lui sont concomitantes. Or, la stratégie de ces élites consiste à favoriser dans un premier temps les expressions multiples de l’opposition politique, et de coopter par la suite la formation politique qui se démarque des autres, généralement en la faisant participer au gouvernement.  En effet, comme les structures du pouvoir sont biaisées, une fois que les représentants de l’opposition politique accèdent à des postes de décision, immanquablement, ces derniers ne parviennent pas à réaliser les réformes sociales, économiques et politiques escomptées par leur électorat. Ils finissent donc, tôt ou tard, par perdre toute crédibilité au sein de la société.  Autrement dit, en réduisant les partis politiques d’opposition à des opposants makhzenisés, c’est-à-dire à des «opposants partenaires de l’État», les élites dirigeantes traditionnelles réussissent à les neutraliser, et à pérenniser de la sorte les structures inégalitaires du pouvoir.

Mais si ultimement, cette tactique étouffe en douce les demandes populaires de démocratisation, elle  ne parvient pas pour autant à faire taire toutes les voix dissidentes.  C’est dans ce contexte que l’AMDH a été fondée en 1979.  Depuis, son identité politique demeure cohérente sur la scène politique du Maroc contemporain.  En s’appuyant sur les conventions internationales relatives à la protection des droits humains, celle-ci lutte contre l’arbitraire du makhzen, œuvre pour l’avènement d’un État de droit au Maroc, et promeut la culture des droits humains et celle de la démocratie au sein de la société.  De plus, comme elle n’ambitionne pas l’exercice du pouvoir, elle ne fait aucune compromission sur ses principes.  Et c’est cette intransigeance sur les principes qui fait de l’AMDH le seul contre-pouvoir sur la scène politique du Maroc actuel.  Dès lors, suite à l’élection de Ryadi en tant présidente de l’association, certains membres se sont demandés si une femme pourrait assumer une responsabilité aussi lourde. Mais à y regarder de plus près, l’attitude de ces membres trahit en fait les mentalités traditionnelles, selon lesquelles le pouvoir makhzénien est masculin, et que par conséquent, le contre-pouvoir devrait être forcément masculin.

Loin de réagir à cette campagne de dénigrement, notre militante s’est mise au travail.  Aussi, ses accomplissements sont nombreux.  Entre autres, elle a contribué de façon significative à l’élargissement de la base populaire de l’association.  Elle a dénoncé les abus du pouvoir de Hafsa Amahzoune, membre de la famille royale qui, en tant que  tel, bénéficiait d’une immunité quasi absolue. Elle a milité pour la libération des prisonniers politiques, tout comme elle a dénoncé la torture et les procès inéquitables subis par les Islamistes. Elle a fait des droits économiques et sociaux une préoccupation de l’AMDH.  Ce faisant, elle a d’une part œuvré pour que le coût de la vie soit accessible à toutes les couches sociales, et elle a d’autre part soutenu de nombreux syndicats et travailleurs qui luttent pour de meilleures conditions de travail, ainsi que les mouvements de lutte pour un logement décent et le droit à la terre. Elle a contribué à la protection des forêts de cèdre de l’Atlas, qui étaient menacées de destruction massive, et qui sont pourtant déclarées patrimoine mondial par l’UNESCO. Enfin, elle a participé au changement des mentalités concernant le couple controversé «femme et pouvoir», du moins au sein de l’AMDH.  De nos jours, la parité entre les sexes est atteinte dans le bureau central de l’AMDH, pendant qu’un quota d’un tiers de femmes est exigé pour les autres instances décisionnelles de l’association.  De plus, il y a eu une féminisation des membres de l’association, y compris dans les villages reculés, situation qui permet aux femmes, toutes couches sociales confondues, de participer à l’avancement des droits fondamentaux dans leur société.

Étant donné ces accomplissements, Khadija Ryadi a été réélue pour un deuxième mandat en tant que présidente de l’AMDH en 2010.

Sources :

Je remercie Mme Khadija Ryadi pour la longue entrevue qu’elle m’a accordée.  Pour de plus amples informations, contacter khadijaryadi@yahoo.fr

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